vendredi 24 décembre 2010

En forme de poire

Il est un snobisme purulent qui relègue Erik Satie à l'avant-dernier rang, juste devant Clayderman Richard et Rieu André. Idiotie complète. Pour être, c'est ce qu'on lui reproche le plus souvent, minimaliste, le travail de Satie n'en est pas moins savant, puissamment novateur, et, ce qui à nos yeux le consacre pour de bon, tendu vers un universel que seul Passeron Jean-Claude oserait concéder à Rieu André ou Clayderman Richard.

Surréaliste un peu avant l'heure, en attestent ses écrits, les titres de ses morceaux et les notes délirantes apposées sur ses partitions (le fameux "postulez en vous-même" ...), Satie est parlant tout en ne versant, à y bien regarder, jamais dans le vulgaire.

Soit exactement ce qui fait que certains durent et d'autres pas.

mercredi 22 décembre 2010

Rossini, Liszt, ... De Funès

L'honnête homme considérera l'incroyable capacité de l'ami Franz Liszt à retranscrire les oeuvres pour orchestre. Ici, la fameuse "Danza" qui était, pour les grands cinéphiles d'entre nos lecteurs, précisément la musique sur laquelle ce bon Louis De Funès réparait sa voiture dans Le corniaud, chef-d'oeuvre s'il en est.

La version orchestrale, donc, suivie de la pianistiquerie de Lizst. A couper le souffle, pour tout dire.



jeudi 9 décembre 2010

Joyeuses fêtes


"Il rentra chez lui un peu avant onze heures pour réveillonner avec du pain et une poignée de figues sèches. Il était d'une très sombre humeur. Depuis longtemps déjà, il affectait de rentrer tôt dans cette nuit où le troupeau avait licence de noctambuler. Il détestait ce piétinement grégaire, ces chansons d'ivrognes ou ces dégoisades de mauvais opéra qui souillaient les ténèbres, et l'hypocrite obscénité de ces ripailles universelles, de ces saoulographies, de ces pinographies que la chafouine Eglise était bien contrainte de tolérer, puisqu'il ne restait plus rien, hors cette ordure, pour rappeler ici-bas la naissance d'un Dieu.
- Scheisse ! Vraiment la seule nuit de l'année où il convienne de se coucher de bonne heure. Il devrait être interdit de fêter Noël, passé douze ans."


Lucien Rebatet, Les deux étendards, Gallimard, 1951, p. 805 .

lundi 6 décembre 2010

En vacances


"Une salle à manger de petit hôtel montagnard, après deux mois de saison, justifie à merveille la zoologie unanimiste de Jules Romain. Jamais on ne se sent plus étranger que lorsqu'on pénètre ainsi à l'improviste dans une petite communauté qui demain se défera, mais est devenue pour quelques semaines étroitement solidaire dans sa lutte contre le même ennui. Michel avait flairé dès la porte une de ses bêtes noires, le bourgeois en vacances. Quand l'univers est à découvrir, quand il y a l'Espagne, le Spitzberg, la Grèce, quand les fresques d'Italie et les aurores boréales sont à la portée d'un étudiant économe, ce bestiau vient s'entasser pendant deux mois entre les mules et les vaches d'un hameau perdu, sans même y être contraint par l'état de ses poumons, par simple absence d'imagination. (...)"


Lucien Rebatet, Les deux étendards, Gallimard, 1951, p. 581 .

mercredi 1 décembre 2010

Contre l'idiome bâtard


L'honnête homme, sans perdre une minute, se précipitera sur le Monde Diplomatique de ce mois de décembre. Il y trouvera à la page 27 un article épatant de Gaston Pellet intitulé "Les élites sacrifient la langue française". Ce que nous, amiral de France, nous égosillons à hurler partout, tout le temps, mais en mieux dit.

Chopin le viril


"(...) Il faut être un snob recuit ou un organiste hongre (...) pour ne pas mettre Chopin dans la plus grande famille. Il a résisté à tout, aux institutrices de pensionnats, aux fausses notes de petites filles dans les quartiers aisés, aux quadragénaires adultères qui en repaissent leurs ardeurs dans les mélos de feu Bataille. Que la phtisie trop romantique et les feuilletons ne vous empêchent surtout pas d'aimer Chopin. Il est délicat, il est gracieux. Mais n'oubliez jamais qu'il est viril aussi. Pensez aux mazurkas, les taches rouges et blanches des courtes jupes qui volent, les menus pieds de jeunes filles qui frappent la cadence dans les petites bottes, et ces cambrures sur lesquelles on voudrait passer la main. Rien de plus féminin. Et pourtant cela est bien vu par un homme. C'est entendu, il y a des bacilles de Koch dans son art. Mais ils ont mis la suprême touche à son génie. Et quel pur classique ! Tous les Latins sont des bavards auprès de ce Lorrain né dans les steppes. Ses idées sont d'autant plus ravissantes qu'il n'y insiste jamais. Elles passent comme d'adorables femmes qu'on ne reverra pas. Il faudrait interdire qu'on jouât Chopin pendant vingt années, pour qu'on pût rêver à lui, et le retrouver avec un coeur tout neuf. Ce serait une pensée digne de ce maître de tous les raffinements."


Lucien Rebatet, Les deux Étendards, Gallimard, 1951, p. 354

samedi 27 novembre 2010

On n'est pas sérieux ...


" (...) Peut-être avait-il en poche le passeport redoutable pour "la patrie de l'ombre et des tourbillons". On a été un garçon pareil à tant d'autres, qui a lu Hugo, Lamartine, Baudelaire. On a aimé, rêvé beaucoup, veillé davantage encore, en s'écoutant vivre, on s'est éloigné pas à pas du monde familier, quiet, cloisonné, raisonnable, et un jour on a franchi les limites invisibles de ce monde. On s'enterre dans un taudis de la rue Vivienne, on se noie de café, d'absinthe. Toute vertu est une amarre qu'il faut couper. On ne sait pas qu'on a reçu l'ordre de se tuer, mais on l'exécute, en écrivant Maldoror ou la Saison en Enfer. On meurt à vingt-trois ans, votre cadavre est découvert dans une chambre sale par la concièrge qui seule savait votre nom : Lautréamont."


Lucien Rebatet, Les deux Etendards, Gallimard, 1951, p. 196

mercredi 17 novembre 2010

Jean-Claude Michéa (II)











André Gide la couille molle


" (...) En passant à Lyon, pour les vacances de Pâques, chez Flammarion, j'ai vu un article d'un zèbre qu'on ne connaît pas , un nommé André Gide. Je ne sais pas pourquoi j'ai lu ça. J'avais aperçu le nom de Baudelaire dedans. Le type dit : "Quand j'étais encore enfant, et que j'ai compris que je ne ressemblais pas aux autres, j'ai pleuré désespérément." Eh bien, ce type est une couille molle. Moi aussi, j'ai compris la même chose que lui. Mais je te garantis que je ne pleure pas. Ah ! non de foutre, non ! Je ne ressemble pas aux autres, et toi non plus, parce que nous ne sommes pas de la même espèce. Et la grande espèce, c'est la nôtre. Seulement nous sommes peut-être cent pour un million de culs."


Lucien Rebatet, Les deux étendards, Gallimard, 1951, p. 19

vendredi 12 novembre 2010

vendredi 5 novembre 2010

Mishima Yukio


L'honnête homme ira de ce pas se renseigner sur la vie chevaleresque de l'ami Mishima. Il pourra ensuite, par exemple, se tourner vers des textes comme Ken (dans Pélerinage aux trois montagnes, Gallimard, 1998) ou La lionne (dans Une matinée d'amour pur, Gallimard, 2005) pour un bref aperçu.

lundi 25 octobre 2010

Au choix


"Enfin, pendant un été où il n'avait pu se baigner, ni demeurer longtemps au grand air, il avait vu en pleine lumière les caractères véritables de la vie des drogués : elle est rangée, casanière, pantouflarde. Une petite existence de rentiers qui, les rideaux tirés, fuient aventures et difficultés. Un train-train de vieilles filles, unies dans une commune dévotion, chastes, aigres, papoteuses, et qui se détournent avec scandale quand on dit du mal de leur religion."

Pierre Drieu la Rochelle, Le feu follet, Gallimard, 2009, p.47.

"Dubourg était devenu égyptologue depuis peu, en même temps qu'il s'était marié. Alain avait vu, non sans ironie, se pacifier l'ancien compagnon de ses ivrogneries. Quelle défaite avait-il cherché dans ces papyrus ? Que faisait-il d'une femme et de deux filles ? Qu'était-ce que cette solitude encombrée ?"

Idem, p. 75.

vendredi 22 octobre 2010

Pénétrer dans cette nuit


"Je l'avais vue pénétrer dans cette nuit, s'y faire son chemin, par extraordinaire silencieux, d'une table à l'autre, avec cette majesté venue d'une planète différente que donne la volonté de cultiver un écart de propos délibéré."

Antoine Blondin, Monsieur Jadis ou l'école du soir, Gallimard, 2004, p. 153.

lundi 11 octobre 2010

Petits perfectionnements


"- (...) Tenez, il va partir pour Blangy à la fin de cette semaine. Vous ne croiriez pas qu'il a déjà son aller-retour de chemin de fer, son parcours d'autobus dans les Courriers Picard, sa chambre d'hôtel retenue. Il a beau s'y rendre chaque année pour la Toussaint, il trouve le moyen d'introduire de petits perfectionnements dans son voyage. Il n'aime pas s'embarquer sans biscuits, n'est-ce pas Albert ?
- Il n'y a pas de honte, dit Quentin avec une intonation d'excuse. Mais tu ne devrais pas dévoiler mes secrets comme cela.
Il ressentait brusquement la mesquinerie de ces préparatifs, tout ce qu'ils masquaient de vide, de soumission au côté formel des choses. Si c'était là un secret, il était piètre.
- Il n'y a que de petites manies, dit-il."

Antoine Blondin, Ibidem, p. 144

vendredi 8 octobre 2010

Partir à chaud



L'honnète homme, qui aura vu le film d'Henri Verneuil et en aura tiré les conclusions qui s'imposent, ira séance tenante se plonger dans le livre d'Antoine Blondin. Il y trouvera toutes les instructions nécessaires à la suite des opérations.

"Et puis, il faut bien reconnaître que la tentation de prendre la route, où la provocation se combine à la rédemption, est ardente chez l'ivrogne. Se retrouver en Normandie après une nuit pareille ne manquait pas de style. J'étais parti à chaud."


Antoine Blondin, Un singe en hiver, La table ronde, 1959, p. 55 .

lundi 4 octobre 2010

Cabré de surprise



"Le lendemain matin je m'éveillai de très bonne heure. Il faisait encore assez sombre quand j'ouvris les yeux et longtemps après seulement j'entendis la pendule sonner cinq heures dans l'appartement au-dessous de moi. Je voulus me remettre à dormir, mais il me fut impossible de retrouver le sommeil, j'étais de plus en plus réveillé et je pensais à mille choses. Soudain il me vint à l'esprit une ou deux bonnes phrases, appropriées à une esquisse, un feuilleton, de délicates trouvailles de style dont je n'avais jamais encore rencontré les pareilles. Etendu dans mon lit, je me répète ces mots et je les trouve remarquables. Peu à peu d'autres viennent s'y ajouter; tout à coup je suis complètement réveillé, je me mets sur mon séant et je prends mon papier et mon crayon sur la table derrière mon lit. C'est comme si une veine avait éclaté en moi; un mot suit l'autre, ils s'ordonnent, s'enchaînent, logiquement se forment en situations; les scènes s'entassent les unes sur les autres, les actions et les répliques surgissent dans mon cerveau, et j'éprouve un étrange bien-être. J'écris comme un possédé et je remplis une page après l'autre sans un instant de répit. Les pensées tombent sur moi si soudainement et continuent d'affluer avec une telle abondance que je perds une foule de détails accessoires : je ne parviens pas à les écrire assez vite, bien que je travaille de toutes mes forces. L'inspiration persiste à me presser, je suis tout plein de mon sujet et chaque mot que j'écris m'est comme dicté. Cela dure, cela dure un temps délicieusement long avant que cesse ce moment étrange. J'ai quinze, vingt pages écrites devant moi, sur mes genoux, quand je m'arrête enfin et pose mon crayon. Si vraiment ces papiers avaient quelque valeur, j'étais sauvé! Je saute du lit et je m'habille. Le jour grandit, je puis distinguer à demi l'avis du directeur des Phares, là-bas, près de la porte, et, devant la fenêtre, il fait déjà si clair qu'à la rigueur je pourrais y voir pour écrire. Et immédiatement je me mets en devoir de recopier mes feuillets. De ces fantaisies monte une vapeur singulièrement dense de lumière et de couleurs. Je me cabre de surprise devant de bonnes choses, l'une suivant l'autre, et je me dis à moi-même que jamais je n'ai rien lu de meilleur. La tête me tourne de contentement, la joie me gonfle et je me sens remis à flot. Je soupèse mon écrit dans la matin et, sur place, je le taxe à cinq couronnes, à première vue. Il ne viendrait à l'idée de personne de marchander pour cinq couronnes. Bien au contraire, il fallait convenir que même à dix couronnes, c'eût été donné, compte tenu de la qualité de la matière. Je n'avais pas l'intention de faire gratis un travail aussi original. A ma connaissance on ne trouvait pas des romans de ce calibre à tous les coins de rue. Et je m'arrêtai à dix couronnes."

Knut Hamsun, La Faim, PUF - Le Livre de Poche, 2010, pp. 52-53

lundi 9 août 2010

Suivez mon regard ...


J'ai compris illico presto, et d’un ! avant tout ! que « jouer le jeu », c'était passer à la Radio… toutes affaires cessantes !… d'aller y bafouiller ! tant pis ! n'importe quoi !… mais d'y faire bien épeler son nom cent fois ! mille fois !… que vous soyez le « savon grosses bulles »… ou le « rasoir sans lame Gatoulliat »… ou « l’écrivain génial Illisy » !… la même sauce ! le même procédé ! et sitôt sorti du micro vous vous faites filmer ! en détail ! filmer votre petite enfance, votre puberté, votre âge mûr, vos moindres avatars… et terminé le film, téléphone !… que tous les journalistes rappliquent !… vous leur expliquez alors pourquoi vous vous êtes fait filmer votre petite enfance, votre puberté, votre àge mûr… qu'ils impriment tout ça, gentiment, puis qu'ils vous rephotographient ! et encore !… et que ça repasse dans cent journaux !… encore !… et encore !…


L.F. Céline, Entretiens avec le Professeur Y, Gallimard, 1955, p. 12

samedi 24 juillet 2010

Symétrie axiale


Une solution beaucoup plus simple est, évidemment, d'adopter la posture schizophrénique de la droite traditionnelle qui, selon le mot du critique américain Russel Jacoby, « vénère le marché tout en maudissant la culture qu'il engendre » (et dont le pendant idéologique exact est cette gauche contemporaine qui n'affirme combattre la logique du Marché – de moins en moins, il est vrai – que pour se prosterner avec enthousiasme devant la culture qu'il engendre).


Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal, Climats, 2007, p. 134

mercredi 21 juillet 2010

Une effrayante clameur d'une centaine de voix


"Il se souvint qu’une fois, alors qu’il descendait une rue bondée de gens, une effrayante clameur d’une centaine de voix, des voix de femmes, avait éclaté un peu plus loin, dans une rue transversale. C’était un formidable cri de colère et de désespoir, un « Oh-o-o-oh ! » profond et retentissant dont l’écho se prolongeait comme le son d’une cloche. Son cœur avait bondi. « On a commencé avait-il pensé. Une émeute ! À la fin, les prolétaires brisent leurs chaînes. »

Quand il arriva à l’endroit du vacarme, ce fut pour voir une cohue de deux ou trois cents femmes pressées autour des étals d’un marché en plein air. Elles avaient des visages aussi tragiques que si elles avaient été les passagers condamnés d’un bateau en train de sombrer. Mais à ce moment, le désespoir général se brisa en une multitude de querelles individuelles. Il apparut qu’à un des étals on vendait des casseroles de fer-blanc. C’était une camelote misérable, mais les ustensiles de cuisine étaient toujours difficiles à obtenir. Le stock s’était brusquement épuisé. Les femmes qui avaient réussi à en avoir, poussées et bousculées par les autres, essayaient de se retirer avec leurs casseroles, tandis que des douzaines d’autres criaient autour de l’étal, accusaient le vendeur de favoritisme et prétendaient qu’il avait des casseroles en réserve quelque part.

Il y eut une nouvelle explosion de glapissements. Deux femmes énormes, dont l’une avait les cheveux défaits, s’étaient emparées de la même casserole et essayaient de se l’arracher l’une l’autre des mains. Elles tirèrent violemment toutes deux un moment, puis le manche se détacha : Winston les regarda avec dégoût. "


George Orwell, 1984, Gallimard, 1991, p. 103

lundi 14 juin 2010

Marmite et drapeau noir



L'honnête homme ira toutes affaires cessantes consulter le lien électronique ci-dessous.

Il y trouvera en intégralité un film de la plus haute volée, Le drapeau noir flotte sur la marmite, de Michel Audiard et René Fallet, avec Jean Gabin et Claude Piéplu, musique de Georges Brassens, adapté du roman de René Fallet Il était un petit navire (Denoël, 1962).

On notera l'absence absolue de fausse note, le génie tranquille de Gabin, les truculents dialogues d'Audiard, la verve pré-poelvoordienne de Piéplu.

C'est ici :

http://www.film-stream.line55.net/Le-Drapeau-noir-flotte-sur-la-marmite-streaming-12728.html

mardi 1 juin 2010

Orwell, à plus forte raison ...



Ou comment, à tout bien considérer, on sucre au bon peuple ses rêves de Belle Equipe pour les remplacer par les zigouigouis criards qu'on sait. Loin de nous bien sûr l'idée de conférer au rappeur ringard qui nous sert de président la dimension d'un César, mais tout de même ...

"Toute l'année les animaux trimèrent comme des esclaves. Ils en étaient heureux ; ne rechignant devant aucun effort ni sacrifice, sachant que tout le mal qu'ils se donnaient leur profiterait à eux-mêmes ou a défaut à leurs pareils qui viendraient après eux, non à une bande de fripons adonnés au vol et à l'oisiveté.
Du début du printemps au terme de l'été ils travaillèrent soixante heures par semaine. En août César leur annonça qu'ils travailleraient aussi l'après-midi du dimanche. Travail à proprement parler volontaire, mais il était bien entendu que tout animal qui s'en absenterait verrait ses rations diminuées de moitié."


George Orwell, La République des Animaux, trad. A. Simon, Gallimard, 1964, p. 68. Nous soulignons.

On concluera comme de juste en image et en musique :


mardi 18 mai 2010

Peut-être


Peut-être existait-il des époux et des pères de famille à qui la fidélité ne faisait pas perdre le sens de la volupté. Peut-être y avait-il des sédentaires dont le coeur ne se desséchait pas faute de liberté et de danger. Il se pouvait. Il n'en avait encore vu aucun.


Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund, trad. Fernand Delmas, Calmann-Lévy, 1974, p. 304 .

mercredi 12 mai 2010

Génération y ?


"Depuis des dizaines d'années, j'éprouve de la répugnance vis-à-vis de l'adoration que les Américains par exemple vouent de plus en plus à la jeunesse et aux adolescents. Mais plus encore, c'est l'élévation de cette jeunesse au rang de condition sociale, de classe, de "mouvement" qui me déplaît profondément."

Hermann Hesse, "Les gens qu'on peut imaginer vieux", in Éloge de la vieillesse, trad. A. Cade, Calmann-Lévy, 2009, p. 46 .

mardi 4 mai 2010

Morire bisogna


L'honnête homme, ici, remarquera plusieurs choses :

. La fine analyse, d'abord, qui lui fera envisager le Bel Canto comme un art volage, à des kilomètres donc de tout académisme d'agrégés de grammaire ...

. Le charme pédérastique du joyeux chanteur, non sans rappeler ce bon Marlon Brando dans Apocalypse now, la noblesse, au sens premier du terme, la noblesse des trouvères, l'élégance, la science, la violence.

. Les accords de la trame, peu ou prou semblables à ceux de Foule sentimentale, chef-d'oeuvre s'il en est d'Alain Souchon.

. Et surtout, surtout : morire bisogna, l'antithèse parfaite du mot d'ordre d'à présent, la résignation lucide, la proclamation modeste d'un état de fait : il faut bien, bisogna, mourir, morire, aucun de nous-autres n'étant éternel, quoi qu'en pensent par ailleurs la ménagère et le pédaloïde, désormais convaincus du contraire.

Il faut bien, bisogna, mourir, morire. Mais qui s'en souvient ?

mercredi 21 avril 2010

mardi 13 avril 2010

vendredi 9 avril 2010

mercredi 24 février 2010

Suivez mon regard (2) ...


La subordination des intellectuels bourgeois à l'impérialisme en train de s'étendre et de se déployer ne s'effectue pas directement, sans contradictions ; des mouvements oppositionnels, et surtout apparemment oppositionnels, se font jour également, mais qui, puisqu'ils se développent à partir de la même base de classe, partagent les fondements idéologiques des tendances combattues par eux, et c'est pourquoi ils ne sont aptes qu'à mener une lutte "interne", "fractionnelle" - si extrémiste que soit leur gesticulation, si profond, subjectivement, que soit l'"extrémisme" de leurs convictions.


Ibidem (C'est nous qui soulignons).


Suivez mon regard ...



(...) la plupart du temps cette critique animée d'intentions subjectivement honnêtes se développe elle-même - inconsciemment et involontairement - jusqu'à constituer une partie intégrante, une nuance particulière, du courant idéologique fondamental et général de l'époque : l'apologétique indirecte, l'apologétique qui opère par le biais d'une critique mystifiante de l'actualité.


Georg Lukacs, "Grandeur et décadence" de l'expressionnisme, in Problèmes du réalisme, L'Arche, 1975, p. 49 .

mardi 2 février 2010

"Libertinage de bon ton"




"Des hommes vaniteux affectent souvent un libertinage de bon ton qu'au fond d'eux-mêmes ils désapprouvent et dont, peut-être, ils ne se rendent pas réellement coupables. Ils désirent être loués de quelque chose qu'eux-mêmes ne considèrent pas comme louable, et ils rougissent d'avoir des vertus qui ne sont pas à la mode, mais qu'ils pratiquent parfois, en secret, et pour lesquelles ils éprouvent secrètement une réelle vénération."



Adam Smith, The théory of Moral Sentiments, cité par Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, t.1, Éditions de minuit, 1973, p.47 .

jeudi 28 janvier 2010

Celui qui écrit ces mots enculera celui ...



"Pour participer à la vie de la cité, le citoyen doit être eleùtheros, "libre, sans contrainte". En effet, l'Athénien qui se prostitue et qui donc vend son autonomie ne peut plus prendre la parole au Conseil ou à l'Assemblée : s'il le fait, il est condamné à mort, ainsi que nous l'apprenons chez l'orateur Eschine. Comme l'a bien montré Michel Foucault, cette conception du citoyen entre surtout en conflit avec la pratique pédérastique, dans la mesure où celle-ci définit les deux amants en termes de domination et de soumission : futur citoyen, le garçon se soumet au plaisir du partenaire adulte. Ce qui risque de le disqualifier moralement, s'il ne fait pas preuve de retenue en s'identifiant à son rôle d'instrument. Car, par rapport au pédéraste, il est aussi instrumental que le lecteur par rapport au scripteur. Si bien que les Grecs ont pu penser la communication écrite dans les termes de la relation pédérastique, et cela dès l'inscription dorienne de Sicile (...) : celle-ci n'essaie rien moins qu'une définition de la nature du lire, l'une des premières que nous connaissions : "celui qui écrit ces mots enculera, pugìxei, celui qui en fait la lecture". Lire, c'est ici se trouver dans le rôle du partenaire passif, méprisé, tandis que le scripteur s'identifie au partenaire actif, dominant et valorisé. Le mépris du lecteur dont témoigne cette métaphore, qui n'est pas isolée, explique sans dote pourquoi on laissait volontiers la tâche de lire à un esclave. (...)"


Jesper Svenbro, " La Grèce archaïque et classique, l'invention de la lecture silencieuse", in Histoire de la lecture dans le monde occidental, Seuil, 2001 .

jeudi 21 janvier 2010

Seulement ... pour ... les fous




Comment les illuminés contemplent l'ordre avec respect. Comment ils aspirent au calme bourgeois, tout en sachant bel et bien combien ce calme là les tuerait.

Ou pourquoi Jean-Marie Le Pen est un punk.

Voici que j’ai passé devant l’araucaria. C’est au premier étage, devant la porte d’un appartement qui est sans doute encore plus parfaitement irréprochable et astiqué que les autres, car le palier rayonne d’un nettoyage surhumain; c’est un petit temple de l’ordre. Sur un parquet où l’on craint de mettre le pied, on voit deux jolies sellettes; chacune supporte un grand cache-pot; dans l’un une azalée, dans l’autre un araucaria. Celui-ci est de taille assez élevée, arbre-enfant droit et bien portant, d’une perfection absolue, et même la dernière extrémité de la dernière branche respire le grand lavage. De temps en temps, quand je sais qu’on ne m’observe pas, je fais de ce palier un temple; je m’assieds sur une marche au-dessus de l’araucaria, je me repose un peu et, les mains jointes, je contemple pieusement ce petit jardin de l’ordre, dont la méticulosité attendrissante et le ridicule solitaire, je ne sais pourquoi, m’empoignent l’âme. Je devine derrière ce palier, dans l’ombre sacrée de l’araucaria, un appartement plein d’acajou brillant, de bonne conduite, de santé, de levers matinaux, de devoirs accomplis, de fêtes de famille modérément joyeuses, de sorties endimanchées à l’église et de couchers de bonne heure.



Hermann Hesse, Le Loup des steppes, Calmann-Lévy, 1975 .