samedi 27 novembre 2010

On n'est pas sérieux ...


" (...) Peut-être avait-il en poche le passeport redoutable pour "la patrie de l'ombre et des tourbillons". On a été un garçon pareil à tant d'autres, qui a lu Hugo, Lamartine, Baudelaire. On a aimé, rêvé beaucoup, veillé davantage encore, en s'écoutant vivre, on s'est éloigné pas à pas du monde familier, quiet, cloisonné, raisonnable, et un jour on a franchi les limites invisibles de ce monde. On s'enterre dans un taudis de la rue Vivienne, on se noie de café, d'absinthe. Toute vertu est une amarre qu'il faut couper. On ne sait pas qu'on a reçu l'ordre de se tuer, mais on l'exécute, en écrivant Maldoror ou la Saison en Enfer. On meurt à vingt-trois ans, votre cadavre est découvert dans une chambre sale par la concièrge qui seule savait votre nom : Lautréamont."


Lucien Rebatet, Les deux Etendards, Gallimard, 1951, p. 196