samedi 9 juin 2012

jeudi 3 mai 2012

Bonnets blancs

Symétrie axiale

"(...) à propos des électeurs FN qu’il lui incombe de reconquérir, même la gauche (la vraie gauche) commence à donner des signes de fatigue intellectuelle. En témoignent les refus exaspérés d’entendre seulement dire « la France qui souffre ». Assez de la souffrance sociale ! et retour aux explications simples et vraies : ce sont des salauds de racistes. Dans une parfaite symétrie formelle avec la droite qui, en matière de délinquance, refuse les « excuses sociologiques », d’ailleurs tristement suivie par la (fausse) gauche depuis un sombre colloque de Villepinte en 1997 (à chaque terme socialiste ses abandons…), voilà qu’une partie de la (vraie) gauche, en matière de vote FN, ne veut plus de « l’alibi » de la souffrance sociale. Cette commune erreur, qui consiste à ne pas faire la différence entre deux opérations intellectuelles aussi hétérogènes que expliquer et justifier (et par suite « excuser »), finit inévitablement en le même catastrophique lieu de l’imputation d’essence, seul énoncé demeurant disponible quand on s’est privé de toute analyse par les causes. Les délinquants seront alors la simple figure du mal, n’appelant par conséquent d’autre réponse que la répression. Quant aux électeurs de l’extrême droite, ils sont donc « des salauds », appelant… quoi d’ailleurs ? La colonie lunaire ? Au déplaisir général sans doute, il faudra pourtant faire avec eux."
Frédéric Lordon, "Front national : mêmes causes, mêmes effets", Le Monde diplomatique, mai 2012

vendredi 13 avril 2012

Vieux capitaine...


"Il vit arriver sur lui le phare, un miroir, qui se multipliait à l'infini. Il ne bougea pas. Résistait la mémoire et s'éparpillait l'homme et s'agrandissait le silence à mesure qu'il ne s'effrayait plus.

Rouge et noir au fond le Carnaval roulait ses caisses, manoeuvrait ses troupes évidemment grotesques et prêtes à jurer sur de nouveaux cimetières."


Dominique de Roux, L'Harmonika-Zug, La Table Ronde, 1963, p. 156

jeudi 12 avril 2012

Etrangement dépourvu de roues


"Dans chaque maison, des deux côtés de la chaussée, brille la lampe dorée du living-room où l'écran de télévision met une tâche bleutée. Chaque famille regarde religieusement le même spectacle. Personne ne parle. Les cours sont silencieuses. Seuls quelques chiens aboient, étonnés d'entendre les pas d'un homme, étrangement dépourvu de roues. (...) Je ne dirai q'un seul mot à ces amateurs de télévision, à ces millions, à ces dizaine de millions d'hommes qui ne voient plus que par un seul oeil : ils ne font certes aucun mal à leur prochain en se servant de cet oeil unique ; mais Japhy non plus ne faisait de mal à personne... je l'imagine, errant, sac au dos, dans les rues d'une quelconque banlieue, apercevant tous ces écrans bleutés, tout seul, seul avec des pensées qui ne lui sont pas venues au moment où il a tourné un bouton."


Jack Kerouac, Les clochards célestes, Gallimard, 1963 (trad.), pp. 160-161

Clair, vivant et précis



"Sans l'effort obstiné de chacun pour s'approprier réellement sa langue maternelle (autrement dit, pour devenir le véritable sujet de son propre discours), nous serions (...) condamnés, estimait Orwell, à subir la loi des mots existants, c'est à dire, en dernière instance, à demeurer prisonniers du langage préfabriqué de l'idéologie dominante (qu'il prenne la forme du jargon des économistes ou celle de de ce "langage des cités" qui fascine tellement la bourgeoisie universitaire moderne). La "novlangue" (...) ne constitue, de ce point de vue, que le passage à la limite d'une situation qui existe déjà : l'idéal, en somme, d'une langue intégralement idéologique (ou "politiquement correcte") dont la syntaxe et le lexique obligeraient en permanence ses locuteurs à s'absenter d'eux-mêmes ("les bruits appropriés qui sortent du larynx" mais sans passer par le cerveau) et qui rendrait ainsi inutile l'existence même d'une police de la pensée. C'est pourquoi le simple souci d'enrichir son vocabulaire et de parler une langue claire, vivante et précise constituait déjà, pour Orwell, un acte de résistance politique quotidienne."

Jean-Claude Michéa, Le complexe d'Orphée, Climats, 2011, p. 223

"De droite", et traditionalistes...


"Dans sa rhétorique et ses promesses électorales, un parti de droite n'hésitera jamais à défendre la famille ou la religion (laissant à la gauche moderne le soin de développer, à ses risques et périls, le vrai point de vue libéral sur la question). Mais, dès qu'il s'agit de passer à l'acte, elle hésitera encore moins à étendre au jour du Seigneur lui-même (ou, si l'on préfère, au jour de la famille) le droit d'exploiter son prochain. Toute la question est donc de savoir si on doit juger la philosophie réelle d'un parti de droite sur sa seule rhétorique électorale (l'universitaire de gauche s'en tient généralement là) ou, au contraire, sur la politique concrète qu'il applique sans phrase une fois parvenu au pouvoir. Dans une société libérale développée, c'est en effet aux universitaires de gauche qu'il incombe de fournir la véritable bande-son des modernisations capitalistes, c'est-à-dire de jouer les idiots-utiles du système, en revendiquant à voix haute (Foucault et Deleuze à l'appui) ce que la droite met silencieusement en pratique sous le masque hypocrite d'un discours "conservateur"."


Jean-Claude Michéa, Le complexe d'Orphée, Climats, 2011, pp. 156-157